Quand la valorisation se heurte à la subjectivité humaine, les vendeurs de biens immobiliers peuvent avoir tendance à surestimer la valeur de leur propriété. Professionnels de l’immobilier, invitez-les à changer de point de vue et optez pour la stratégie de considération de l’opposé.
Le virus du prix fait référence à une situation où la perception de la valeur d’une propriété par le vendeur dépasse la valeur objective du bien. Comment comprendre les illusions de valeur du propriétaire et comment les anéantir ?
La valeur imaginée ou l’illusion du prix juste
Le processus décisionnel des individus n’obéit pas strictement à une logique rationnelle. En effet, nos biais cognitifs et nos émotions façonnent notre perception de la réalité souvent à notre insu. Ces « distorsions cognitives » nous amènent à commettre des erreurs de raisonnement qui peuvent altérer significativement la valeur que nous attribuons à un bien. Ce sont ces biais qui poussent le vendeur à une valorisation irréaliste.
Parmi ceux-ci, l’effet dit de dotation joue un rôle clé. Selon les économistes comportementaux, la possession d’un bien immobilier nous incite à le valoriser plus que si nous ne le possédions pas (1). Cet effet, renforcé par l’attachement émotionnel à la propriété et couplé à notre aversion à la perte pose un dilemme particulièrement aigu lorsqu’il s’agit de fixer ou de réajuster le prix de vente dans un marché en crise.
Les vendeurs, ancrés dans une évaluation passée favorable (biais d’ancrage), peinent à accepter que cette évaluation ne corresponde plus à la réalité actuelle du marché. Cet ajustement du prix est perçu comme la matérialisation d’une perte — une perspective plus douloureuse psychologiquement que celle de ne pas vendre (biais d’aversion à la perte) (2).
De ce fait, nombre de vendeurs sont disposés à tolérer une période plus longue sur le marché afin de trouver un acquéreur qui acceptera leur prix. S’appuyant sur des attentes irréalistes (biais d’optimisme), largement soutenues par un biais de confirmation, ils entretiennent l’espoir qu’un acheteur discernera la valeur unique et les caractéristiques qu’ils attribuent à leur bien et consentira à en payer le prix exigé.
Orgueil et cupidité : les péchés capitaux de la valorisation immobilière
Ces comportements ne sont qu’éléments d’un débat plus profond, où la personnalité des vendeurs influe considérablement. Il est particulièrement intéressant de noter que la résistance aux ajustements de prix ou aux recommandations est souvent plus prononcée chez les vendeurs caractérisés par un égo sur-dimensionné.
Comme souligné par Belk(3), une maison transcende sa simple valeur matérielle pour devenir une extension de l’identité du propriétaire, un moyen d’exprimer qui il est. Une estime de soi élevée amène certains individus à valoriser excessivement leurs capacités, leurs réalisations ou leurs possessions, en l’occurrence leur domicile, persuadés de son unicité et de ses qualités exceptionnelles. Cette conviction dans la singularité de leur propriété incite à fixer un prix bien au-delà des normes du marché.
Et ce d’autant plus que l’hubris potentiel du propriétaire vendeur le rend aveugle aux réalités du marché et totalement imperméable aux conseils extérieurs. Enfin, la cupidité, souvent exacerbée par des pressions financières agit comme un autre moteur qui conduit les vendeurs à fixer un prix trop élevé(4).
Combattre les biais par la considération de l’opposé
Vous l’avez compris, demander au vendeur d’entendre raison preuves à l’appui cela ne marche pas ! Combattre les biais cognitifs semble être une bataille perdue d’avance. Toutefois, l’espoir n’est pas perdu : une série d’études récentes indique que des stratégies ciblées de débiaisage cognitif pourraient effectivement porter
leurs fruits.
La méthode dite « des alternatives » est une approche dans laquelle les individus sont spécifiquement encouragés à envisager des scénarios, des informations ou des perspectives qui contredisent leurs opinions ou attentes actuelles. Son efficacité est liée à la façon dont elle force les individus à s’engager activement avec des informations ou des perspectives qu’ils pourraient autrement ignorer ou minimiser. Cela les amène à réévaluer
la base de leurs croyances ou jugements initiaux (6). Ce débiaisage s’articule autour de deux facettes.
La première consiste à amener votre vendeur à réfléchir à des perspectives opposées.
- Demander aux vendeurs sur quelles informations ils fondent leur évaluation, en quoi ces informations sont pertinentes pour évaluer le prix et quelles informations alternatives ils pourraient retenir permet de se détacher de l’ancre initiale et du biais de confirmation.
- Encourager les vendeurs à envisager leur maison du point de vue d’un acheteur potentiel peut les aider à identifier et à éliminer les éléments de surévaluation basés sur des préférences personnelles.
- Inviter vos vendeurs à estimer la valeur de différentes propriétés. En organisant des visites pour ces biens et en leur demandant à quel prix ils les acquerraient, puis en mettant ces estimations en parallèle avec le prix qu’ils désirent pour leur propre propriété, vous les amènerez à reconnaître l’impact de l’effet de dotation.
La seconde facette consiste à rendre un prix différent plus saillant et pertinent.
- Les enchères immobilières peuvent encourager à réfléchir sur des scénarios alternatifs où leur propriété pourrait se vendre à un prix plus bas que leur attente initiale.
- La présentation de cas concrets qui met en évidence l’impact d’un décalage du prix par rapport à sa valeur de marché sur le délai de vente pourrait également porter ses fruits.
On retiendra
La stratégie de considération de l’opposé émerge comme un outil puissant pour contrecarrer ces biais. Cette approche peut mener à une estimation plus équilibrée et à une ouverture vers un dialogue plus constructif avec les vendeurs.
Il est important de montrer que vous êtes à l’écoute de leurs préoccupations et prêt à les soutenir à travers le processus. L’annonce d’une évaluation inférieure aux attentes des clients est une mauvaise nouvelle.
On notera toutefois l’importance de la communication empathique et éducative.
1) Mwanyepedza, R., & Mishi, S. (2024). Endowment effect, information asymmetry, and real estate market decisions: willingness to pay and willingness to accept disparities. Real Estate Management and Valuation, 32(1), 37-48.
2) Leung, T. C., & Tsang, K. P. (2013). Can anchoring and loss aversion explain the predictability of
housing prices?. Pacific Economic Review, 18(1), 41-59. Bucchianeri, G. W., & Minson, J. A.
(2013). A homeowner’s dilemma: Anchoring in residential real estate transactions. Journal of Economic Behavior & Organization, 89, 76-92.
3) Belk, R. W. (1989). Extended self and extending paradigmatic perspective. Journal of consumer research, 16(1), 129-132.
4) Ibid 2.
5) Lord, C. G., Lepper, M. R., & Preston, E. (1984). Considering the opposite: a corrective strategy for social judgment. Journal of personality and social psychology, 47(6), 1231.
6) Schweickart, O., Tam, C., & Brown, N. R. (2021). When “bad” is good: How evaluative judgments eliminate the standard anchoring effect. Canadian Journal of Experimental Psychology/Revue canadienne de psychologie expérimentale, 75(1), 56.
Nathalie Gardes
Elle publie dans différentes revues scientifiques en marketing stratégique.
Responsable de la licence professionnelle métiers de l’immobilier option transaction et commercialisation de biens immobiliers à l’IUT de Bordeaux, elle dispense des cours en stratégie et marketing immobilier.
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