Sous l’effet des bouleversements du monde, le marché de l’art contemporain est en train de se restructurer. La première évolution tient à la fermeture de nombreuses galeries. A New York, épicentre mondial des transactions, le phénomène se fait lourdement sentir. Excepté les galeries les plus puissantes qui ont mené des investissements immobiliers pour acquérir leurs locaux, le problème majeur est l’augmentation phénoménale des loyers dans la mégapole depuis la période Covid, dans un contexte hyperconcurrentiel. A cela s’ajoute, parfois, le vieillissement de certains dirigeants. Tout cela conduit à la disparition d’enseignes à tous les niveaux de l’offre.

C’est le cas de la Marlborough Gallery, une véritable institution, active depuis 1946 à Londres mais aussi à New York, qui avait défendu entre autres Francis Bacon. Elle a fermé en juin 2024. Idem pour de jeunes galeries dans le vent comme JTT dans le Lower East side. Inaugurée en 2012, elle a contribué à l’émergence de plusieurs stars actuelles comme Issy Wood (née en 1993), la peintre britannique qui a été l’objet d’une exposition à la fondation Lafayette Anticipations à Paris. JTT a cessé son activité en 2023. Mais dans un impressionnant esprit de résilience, certains acteurs du marché de l’art font évoluer leur métier.

Enchères secrètes

« Désormais, il faut faire preuve d’imagination et travailler deux fois plus pour obtenir un résultat égal à celui d’il y a quelques années », observe Dominique Levy. Sa galerie new-yorkaise Levy Gorvy Dayan, marchant sur les plates-bandes des Sotheby’s et Christie’s, a ainsi organisé au mois d’août 2024 des enchères secrètes privées pour un unique tableau de Francis Bacon estimé en dizaines de millions de dollars. Le procédé a déjà été utilisé dans le passé par Sotheby’s pour vendre une rarissime Mercedes et par Christie’s pour céder une peinture de Frida Kahlo.

« Nous avions un vendeur qui désirait une transaction rapide. Nous avons utilisé les services d’un commissaire-priseur, Jussi Pylkannen [ex-président de Christie’s, NDLR]. Nous avons fait une étude de marché sur les acheteurs potentiels. Ils étaient moins de trente. Dix d’entre eux ont signé un engagement de confidentialité et un plus petit nombre encore s’est impliqué dans les enchères qui se tenaient en visioconférence. Je ne peux pas donner le montant de la transaction. Notre commission était de 5 % ce qui est bien inférieur à ce qui se déroule dans une vente aux enchères classique. De source professionnelle, c’est un nouveau service que nous pouvons offrir pour des oeuvres d’exception. »

Selon certaines sources de la profession, en l’occurrence, il s’agissait d’une toile titrée « Portrait of George Dyer talking » adjugée 70 millions de dollars en 2014 chez Christie’s. A l’époque, elle avait été acquise par Michael Chow (Mr Chow) le fameux propriétaire du restaurant éponyme. Cette fois, elle aurait été vendue pour une somme inférieure.

Nous sommes dans une année d’élection […]. Oui, le contexte est difficile, mais le marché n’est pas à l’arrêt. Il est simplement plus raisonnable. Il faut que les prix soient plus attractifs. Les galeries ne doivent pas avoir peur de les ajuster.

Thomas Houseago, sculpteur britannique

Dominique Levy inaugurait aussi à New York le 9 septembre une exceptionnelle exposition, sur quatre étages, consacrée au sculpteur britannique Thomas Houseago (né en 1972), après plusieurs années de silence de l’artiste, se refuse à parler de crise dans le marché de l’art. « L’argent coûte cher avec des taux d’intérêt élevés. Nous sommes dans une année d’élection. J’ai entendu comme tout le monde que la fameuse galerie de Munich, Thomas, avait fait faillite et que certains de mes confrères avaient du mal à payer leurs factures. Oui, le contexte est difficile, mais le marché n’est pas à l’arrêt. Il est simplement plus raisonnable. Il faut que les prix soient plus attractifs. Les galeries ne doivent pas avoir peur de les ajuster. »

Pour les pièces de Thomas Houseago, la marchande avoue avoir fixé des tarifs inférieurs à ceux pratiqués lors de ses dernières expositions alors qu’il bénéficie d’une excellente reconnaissance internationale comme celle du collectionneur et propriétaire de Christie’s François Pinault. Les sculptures d’Houseago en bois ou en bronze, à la fois brutes et puissantes, sont à vendre à partir 50.000 dollars.

Isaac Julien, star du moment

C’est dans ce contexte qu’ouvrait la foire The Armory. Lors de ce grand rendez-vous de la rentrée du marché de l’art à New York qui se tenait du 6 au 8 septembre, au bord de l’Hudson au Javits Center, une certaine tension était palpable chez les professionnels. Avec les années, la manifestation a perdu en crédibilité et sur les 235 participants figuraient peu de galeries influentes.

En 2023, The Armory a été rachetée par les organisateurs de la foire britannique Frieze. Il y a seulement deux mois, une nouvelle directrice a été nommée pour The Armory, Kyla McMillan qui parle d’une manifestation « où l’on fait des découvertes ». En fait, les grands acteurs du marché étaient au même moment de l’autre côté du monde à la foire Frieze Seoul, en quête de nouveaux marchés en Asie, qui semblent pour l’instant se faire désirer.

A New York, la grande star du moment est l’artiste britannique Isaac Julien (né en 1960). Connu pour ses spectaculaires installations vidéo, il était exposé à la Biennale du Whitney Museum et aussi jusqu’au 28 septembre au Moma de New York. « Isaac Julien est important parce qu’il aborde depuis longtemps des sujets très attendus aujourd’hui comme l’iconographie africaine et les canons de l’esthétique occidentale », explique le directeur de la Victoria Miro Gallery Glenn Scott Wright. Son stand, très en vue à l’entrée de la foire, présente une installation vidéo et des photos en lien avec les oeuvres montrées dans les institutions new-yorkaises (à vendre à partir de 28.000 livres).

La galeriste installée entre autres à Paris et Chicago, Mariane Ibrahim expose le travail du Japonais Yukimasa Ida (né en 1990), des portraits entre abstraction et figuration marqués par de larges et vigoureux coups de pinceau colorés (à vendre entre 25.000 et 130.000 dollars). « En effet, le marché s’est ralenti, mais nous avons toujours tenu à maintenir nos prix donc nous conservons nos tarifs », explique la galeriste. Elle défend aussi un peintre ghanéen qui réalise des portraits aux visages tout en matières, qui a été au centre d’une spéculation massive dans les dernières années : Amoako Boafo (né en 1984).

« Pour lui, nos prix – entre 90.000 et 400.000 euros – correspondent à une carrière déjà très riche. Il a été l’objet d’une tournée dans les musées américains et le Centre Pompidou vient d’acquérir l’une de ses oeuvres. La demande ne baisse pas pour Amoako. » Aux enchères, ses prix sont montés jusqu’à 3 millions de dollars en 2021 pour descendre autour de 100.000 euros en 2023. Aucun tableau important n’a été proposé jusque-là en 2024.

Talents afro-américains

Le stand le plus réussi de la foire est celui du marchand new-yorkais Michael Rosenfeld qui, de longue date, défend les talents afro-américains. Aujourd’hui, les musées et le marché de l’art aussi, lui donnent raison.

Sur son stand, une remarquable peinture de Bob Thompson (1937-1966) l’une des oeuvres les plus chères de son stand. Thompson peignait ses personnages dans de grands aplats de couleurs contrastés. L’oeuvre présentée à la foire est inspirée d’une peinture de Goya, à vendre pour 1, 8 millions de dollars. Aux enchères, le record pour l’artiste, enregistré en 2024, s’élève à 1,2 million de dollars. Michael Rosenfeld justifie que dans sa spécialité la crise ne se fait pas sentir. En mars 2024, la dernière exposition du Centre Pompidou, avant sa fermeture pour cinq ans sera consacrée aux artistes noirs qui sont venus en France à partir des années 1950, dont Bob Thompson.

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